FINN kjellberg
CEFE, CNRS, Univ Montpellier, EPHE, IRD, Montpellier, France
Le déclin de la biodiversité accélérant l’émergence de virus dangereux pour les populations humaines augmente les risques de transmission des pathogènes et l’émergence des maladies associées, soulignent, dans une tribune au « Monde », seize dirigeants d’organismes scientifiques.
Tribune. L’actuelle pandémie de Covid-19 vient cruellement nous rappeler le fait, trop longtemps négligé, tant dans les priorités de recherche que dans les politiques publiques, que santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes sont étroitement liées, que l’une ne va pas sans les autres, comme le souligne l’approche interdisciplinaire dite « une seule santé » (One Health).
Les coronavirus appartiennent à l’immense famille des coronaviridés, en circulation naturelle parmi de nombreuses espèces animales, avec des effets variés, de l’inoffensif au mortel. Ce sont des virus à ARN [acide ribonucléique], donc très sujets à mutations, et au génome très long, donc propice à des recombinaisons.
Quatre types de coronavirus bénins sont déjà connus, chez l’humain, pour affecter les systèmes respiratoire (ils seraient responsables de 15 à 30 % des rhumes courants) et, plus rarement, gastro-intestinal, cardiaque et nerveux.
Trois autres types provoquent des infections graves : SARS-CoV, connu pour avoir été à l’origine d’une épidémie de pneumonie aiguë chez les humains en 2002-2003, SARS-CoV2, proche du précédent et responsable de la pandémie en cours, et MERS-CoV, qui a sévi au Moyen-Orient en 2012.
Recombinaison entre deux virus différents
Les analyses génétiques montrent que le SARS-CoV-2 appartient au même groupe des Betacoronavirus que le virus RaTG13, isolé à partir d’une chauve-souris provenant de la province chinoise du Yunnan. Plus récemment, un virus encore plus proche a été isolé chez le pangolin malais. La région particulière de la protéine du virus qui lui permet d’infecter les cellules humaines présente 99 % d’identité avec le SARS-Cov-2 (contre 77 % seulement pour le virus RaTG13, qui n’est pas en mesure de contaminer directement les humains). Cela suggère que SARS-Cov-2 est issu d’une recombinaison entre deux virus différents, l’un proche de RaTG13 et l’autre plus proche de celui du pangolin.
Une première leçon de ce constat sur les origines probables du virus est qu’il ne servirait à rien d’éradiquer les pangolins, ni les chauves-souris. Les virus de cette famille courent à travers toute la biodiversité des mammifères, laquelle comporte de nombreux porteurs sains.
Comme les animaux sont largement impliqués dans l’émergence de nouvelles épidémies, on pourrait être tenté de penser que la biodiversité représente un danger potentiel puisqu’elle héberge de nombreux pathogènes. En réalité, c’est tout le contraire, car une grande diversité d’espèces hôtes potentielles ou effectives limite la transmission des virus par un effet de dilution. De plus, la diversité génétique propre à chaque espèce contribue à faire émerger des résistances de l’hôte à son pathogène, et donc limite aussi sa transmission.
C’est bien le déclin de la biodiversité qui, en réduisant les populations d’hôtes et, ce faisant, la probabilité d’apparition des résistances, augmente les risques de transmission des pathogènes et l’émergence des maladies associées.
De nombreux exemples
Une deuxième leçon est que cibler les activités humaines qui appauvrissent directement la biodiversité est une nécessité de santé publique. Le pangolin est l’une des espèces les plus braconnées et les plus menacées, ce qui est particulièrement le cas du pangolin malais, classé en danger critique d’extinction.
Son commerce est strictement interdit, et pourtant plus de vingt tonnes sont saisies chaque année dans le monde, ce qui laisse augurer de l’ampleur du trafic total. La consommation de viande et l’incorporation de leurs écailles dans la médecine traditionnelle asiatique sont les raisons principales de cette hécatombe, et de l’augmentation exponentielle des contacts avec les humains. Chauves-souris, pangolins et humains ont peu de raisons d’être en promiscuité dans la nature.
C’est le fait de chasser et de les rassembler dans un marché qui constitue la seule explication d’un passage de la chauve-souris au pangolin, puis du pangolin aux humains. La pandémie de Covid-19 est étroitement liée à la question de l’environnement : c’est bien, encore une fois, une perturbation humaine de l’environnement, et de l’interface homme-nature, souvent amplifiée par la globalisation des échanges et des modes de vie, qui accélère l’émergence de virus dangereux pour les populations humaines, par recombinaison entre virus d’espèces différentes.
Les exemples sont nombreux, comme la chasse et le braconnage des espèces sauvages (voire protégées), qui brisent la barrière de la sécurité alimentaire (Ebola, SARS, Covid-19) ou la destruction d’habitat, qui met l’humain en proximité avec des pathogènes endémiques, comme, par exemple, l’ulcère de Buruli en Guyane, où la maladie frappe l’homme de façon croissante en lien avec la déforestation.
La biologie de l’évolution négligée
L’export de viande de brousse contaminée vers les régions à forte densité humaine (Ebola), l’intensification du transport des voyageurs et des marchandises à travers le globe sur le fond du réchauffement climatique favorisent la propagation à large échelle géographique des pathogènes ou vecteurs de pathogènes (dengue, zika, chikungunya) comme des modifications de leur distribution spatiale (malaria).
Plus que jamais, le concept One Health doit devenir une priorité pour une recherche interdisciplinaire brisant les cloisonnements, encore trop présents, entre le monde biomédical et celui qui se consacre aux sciences de l’environnement.
A la lumière de la crise sanitaire que nous traversons, il est paradoxal de constater que les études de médecine et de pharmacie continuent d’ignorer largement la biologie de l’évolution, et que celle-ci est récemment devenue facultative pour les deux tiers d’un parcours scolaire de lycéen.
Gérer la crise actuelle, comme mieux anticiper celles qui ne manqueront pas de survenir dans le futur proche, implique de consolider les bases d’une écologie de la santé s’intéressant aux interdépendances entre le fonctionnement des écosystèmes, les pratiques socioculturelles et la santé des populations humaines, animales et végétales prises ensemble. Cela implique, enfin, de tirer les conséquences pratiques et politiques des connaissances qu’elle nous apporte sans attendre la prochaine crise.
Les signataires : Elsa Cortijo, directrice de la recherche fondamentale du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ; Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle ; Michel Eddi, président-directeur général du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) ; Mehdi Ghoreychi, directeur scientifique de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) ; François Houllier, président-directeur général de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ; Hélène Jacquot-Guimbal, présidente de l’université Gustave-Eiffel ; Nathalie Lemaitre, directrice scientifique de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ; Philippe Mauguin, président-directeur général de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) ; Jean-Paul Moatti, président de l’alliance AllEnvi ; Jean-Marc Ogier, président de l’université de La Rochelle ; Michèle Rousseau, présidente du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ; Virginie Schwartz, présidente-directrice générale de Météo France ; Stéphanie Thiébault, directrice de l’Institut écologie & environnement (INEE-CNRS) ; Valérie Verdier, présidente-directrice générale de l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
Les signataires sont tous membres du bureau ou du conseil d’AllEnvi, l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement.